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En recherche d’emploi en Europe et peu enthousiaste pour l’UE

Si l’Europe est pour nous une évidence, si elle est quotidienne, qu’en pensent les autres ? Notre groupe de 4 personnes a choisi de s’intéresser aux personnes en recherche d’emploi. Comment se définissent-elles par rapport à l’Europe et plus généralement à la vie politique : se sentent-elles éloignées, déçues, ou, au contraire, concernées, intéressées, voire passionnées ? Comment s’informent-elles ? S’intéressent-elles aux élections à venir et comment s’y préparent-elles ? Nous sommes allés à leur rencontre dans plusieurs capitales européennes.

Cette enquête se base sur 16 interviews menées à Berlin, Stockholm, Bruxelles et Paris, entre mai et septembre 2018.

Stockholm, 30 mai 2018 : Ce premier entretien d’une longue série a une double particularité : il ne se déroule ni en France, ni en Allemagne, mais dans un tiers pays, la Suède, et il est mené en anglais. Les codes sont différents de ceux de notre entourage franco-allemand, le fonctionnement des Jobcenter nous est inconnu et la mentalité ne nous est pas familière. Pour autant, le dialogue se déroule aisément.

Monira, 31 ans, est surprise par notre question sur l’Europe : « L’Europe, ce n’est pas vraiment un sujet pour moi. Mais, je m’intéresse à l’Espagne. J’ai des amis là-bas. Et lorsque le pays a été touché par un attentat (17/08/2017), je me suis inquiétée et j’ai fait des recherches sur Facebook pour savoir s’ils allaient bien ».

Berlin, Charlottenbourg, 22 juin 2018 : Le Jobcenter de Charlottenburg-Wilmersdorf est annoncé sur le quai de la station de U-Bahn.

Station de métro à Charlottenbourg, Berlin | Photo: Dialogue d’avenir franco-allemand 2019

« Il faut se former sa propre opinion » affirme Sacha, la cinquantaine. Il s’informe en consultant des médias nationaux mais aussi étrangers, tel que la chaîne d’information CNN. Il souligne que ces sources étrangères couvrent parfois des sujets qui concernent l’Allemagne mais que les médias allemands ne mettent pas à l’ordre du jour. « Il y a des choses [en Allemagne] qui sont passées sous silence ou volontairement oubliés », dit-il en citant pour exemple la politique migratoire. S’il défend la nécessité d’aider l’arrivée de populations vulnérables, les jeunes migrants ne semblent, d’après lui, pas si « traumatisés » que le laissent faussement croire les médias ; à en voir, les évènements de la nuit de Sylvestre à Cologne 2014/2015, par exemple. [Ndlr : L’interlocuteur fait référence aux nombreuses agressions sexuelles signalées la nuit du 31 décembre 2014, commises en grande partie par des jeunes hommes d’origine arabe ou nord-africaine. Ces évènements ont suscité un vif débat public en Allemagne sur les migrants de sexe masculin.].

Je boycotte les élections car, dans l’ensemble, soit les hommes politiques conduiront une politique exigée par notre statut européen, soit les promesses formulées pendant la campagne seront, aussitôt l’élection emportée, oubliées. En un mot, le peuple est arnaqué.

Sacha

De son côté, Jenny, la trentaine, nous confie avec un air indifférent : « La politique ce n’est pas mon truc ». Les actualités du monde politique, elle les « attrape » au passage et un peu par hasard, principalement sur internet et sans aller les chercher. Pourtant, elle répond catégoriquement que oui, elle va voter. Avant les élections, elle consulte le Wahl-O-Mat, qui l’aide à l’orienter dans ses choix. Quant à l’Europe, elle n’en dit « pas grand-chose ».

« Jobcenter » à Charlottenbourg-Wilmersdorf, Berlin | Photo: Dialogue d’avenir franco-allemand 2019

Berlin, Pankow, 22 juin 2018 : Devant le Jobcenter de Pankow, Alex, 27 ans, livre sa perspective sur l’Europe. Il est originaire d’Italie, où il travaillait comme employé de maison chez des particuliers. En 2016, ne trouvant plus d’emploi, il est parti pour l’Allemagne. Là-bas, il a travaillé comme intérimaire dans des restaurants avant de passer quelques mois en prison. Nous ne lui en avons pas demandé les raisons, mais nous l’avons questionné sur son intérêt pour la politique : « Je lis des journaux italiens en ligne ». Nous lui demandons si cela veut dire qu’il ne regarde jamais les actualités allemandes. « Si, de temps en temps » reconnaît-il. Alex apprécie que l’Allemagne soutienne les demandeurs d’emploi financièrement mais aussi en mettant à disposition des conseillers. En Italie, cela n’est pas envisageable selon lui.

Berlin, Wedding, 23 juin 2018 : Marc-André, la petite trentaine, formé à la communication graphique, estime être bien informé de l’actualité politique. Il s’y intéresse et lit divers journaux en ligne, y compris internationaux. Pour lui, « le problème principal du débat politique actuel est l’importance prise par les mouvements populistes ». Il estime que les choix de thèmes mis en avant par des partis comme l’AfD ou, à l’étranger, par le président Trump, cherchent délibérément à jouer sur les peurs des citoyens qui se sentent délaissés pour gagner du pouvoir. Le choix des mots par les mouvements politiques populistes lui apparaît également comme très inadapté et source d’exacerbation de tensions sociales ; « les mots ont un sens ! », s’exclame-t-il enfin.

Paris, 12e arrondissement, 7 septembre 2018 : De nombreuses personnes, hommes et femmes, de tout âge et de tout style, affluent vers l’Agence Paris 12e Diderot de pôle emploi en ce début de matinée. Après deux refus de discussion, Françoise, 51 ans rappelle que « l’Europe, c’est important ! Mais ils sont déconnectés ». Elle regrette de ne pas en savoir davantage tout en avouant ne pas prendre assez de temps pour s’informer sur le sujet : « c’est surtout grâce au journal télévisé du soir et aux journaux gratuits dans le métro ». Quant aux élections européennes, « je savais que c’était bientôt, mais j’ignorais que c’était déjà l’année prochaine ». Avant d’entrer dans l’Agence pôle emploi, Françoise fait part de son désarroi face au choix politique : « J’irai voter, mais je ne sais pas pour qui encore. Et pour être honnête, est-ce que cela va vraiment changer les choses ? »

L’Europe, c’est important ! Mais ils sont déconnectés.

Françoise

En recherche d’emploi dans la restauration, Sébastien, 24 ans, confie ne pas avoir le temps pour consulter l’actualité, « avec mes horaires en décalé, ce n’est pas simple ». Nous lui demandons si les réseaux sociaux ou les sites en lignes permettent le rattrapage, mais il répond : « En fait, c’est que ça m’est un peu égal je pense ». Pour ce jeune homme, discuter avec ses collègues ou ses amis, et balayer son fil d’actualité Facebook suffisent. Selon lui, les médias ne donnaient qu’une version des faits, ils tournaient en boucle sur des évènements, et globalement rappelaient comme les choses vont mal. S’il va voter aux élections nationales, c’est plutôt « car [ses] parents [lui] ont appris ».

Pôle emploi, 12eme arrondissement de Paris | Photo: Dialogue d’avenir franco-allemand 2019

Bruxelles, centre-ville, 14 septembre 2018. Une femme, la cinquantaine, regrette que de nombreux journaux, comme le quotidien Le Soir, manquent de sources : « il faudrait élargir les points de vue, ça va toujours dans le même sens ». « Oui, je vais voter » dit-elle, le ton grave. « L’Europe, en revanche, je ne m’y intéresse pas du tout », dit-elle avec un sourire. Elle nous explique : « franchement, je ne comprends pas bien. Je n’aime pas les trucs de masse, formatés. »

« Oui, on va voter, on est obligés » répondent en chœur deux personnes, la trentaine, interrogées à Bruxelles. Une d’entre elles regrette néanmoins les « beaux discours » et s’interroge sur la capacité des hommes politiques à changer les choses. « Je trouve qu’on est mal représentés », ajoute-t-il. « Les médias nous donnent l’information qu’ils veulent qu’on entende. » Et l’Europe dans tout cela ? Après un moment d’hésitation, il dit : « l’Europe, c’est important, ça peut être une force, » tout en rappelant que néanmoins certains pays pensent à la quitter.

Une femme d’origine algérienne, la quarantaine, pense que « les médias en rajoutent pour attirer l’attention » et compare volontiers les médias au monde politique, dont elle n’est « pas convaincue ». A plusieurs reprises, elle aussi, cite les promesses électorales souvent non-tenues.

Bruxelles, Chaussée de Charleroi, 14 septembre 2018 : Fatima, une soixantaine d’années, estime que la politique ne s’occupe pas assez des questions environnementales et climatiques. Selon elle, les mesures d’interdiction des sacs plastiques devraient être accentuées, par exemple. A contrario, elle se sent bien informée par les médias. Sa source d’information principale est la télévision marocaine. Concernant l’Europe, elle témoigne d’une forte distance – « qu’ils ferment leur bouche ! » : l’Europe devrait faire plus et parler moins. Elle ne sait cependant pas indiquer précisément ce qu’elle en attend.

Johan, jeune professeur de sport en passe de retrouver un emploi, s’informe principalement via les radios locales et les réseaux sociaux. Il indique ne pas se désintéresser des enjeux politiques, mais a une vision négative de la classe politique, surtout nationale : « ce sont des pourris ! ». Aussi, il ne trouve pas grand-chose de positif à l’Europe. Selon lui, celle-ci avait failli à son devoir de solidarité. Il trouve plus d’intérêt à son propre pays en affirmant que les gens comme lui « aiment leur pays ».

Nos observations tirées de notre travail d’enquête

Poser des questions sur la politique à des inconnus dans la rue, c’est prendre le risque, en abordant un sujet sensible, de s’exposer à des refus ou des réponses évasives. Les médias, la politique et l’Europe sont des sujets souvent abstraits. Plus faciles à aborder, les questions sur les habitudes médiatiques nous servirent de porte d’entrée à la discussion.

L’usage des médias est répandu mais dans la plupart des cas il n’y a pas de recherche active sur les sujets politiques, les personnes « reçoivent » les informations qui viennent à elles via les canaux d’information (télévision, réseaux sociaux). On constate une méfiance envers l’actualité politique et le traitement de l’information. Cette approche est très paradoxale car on remarque une attitude attentiste face aux médias, tout en décriant le contenu qui est proposé.

La politique n’est pas un sujet de préoccupation majeure – les personnes interrogées justifient leur « désintérêt » par une déception, une lassitude envers les promesses électorales.

En revanche, le vote est perçu comme important par cinq personnes interrogées, tandis qu’une seule dit boycotter volontairement les élections.

Pour nous, « l’Europe » est un sujet quotidien ; entre amis, nous échangeons sur les événements d’actualité mais surtout sur les questions d’avenir de l’Union européenne.

Lors de nos entretiens, nous avons pu constater que l’Europe n’est pas un sujet qui vient spontanément et ne suscite pas d’enthousiasme. Deux personnes associent l’Europe à une contrainte, quelque chose de complexe, tandis qu’une troisième en cite les vertus (la monnaie unique, Erasmus).

L’Europe intéressait les interlocuteurs à partir du moment où ils étaient personnellement concernés, dès lors qu’ils se trouvaient au chômage ou à la recherche d’emploi, par exemple. Ils ressentaient aussi la nécessité d’être recensés par le système social. Quatre interlocuteurs sur six se sont rapidement mis à parler des réfugiés et de la manière dont les gouvernements de « leurs » pays ont traité la question des migrant(e)s, par rapport au traitement de la question des chômeurs.

Enfin, dans une majorité des entretiens, l’intérêt pour les enjeux environnementaux et la prise de conscience pour ceux-ci se sont affirmés. Indépendamment des âges, des genres et des origines des personnes, la majorité se sentait concerné par ces sujets. Nous ne nous y attendions pas.

Ce contenu est le résultat d’un travail de groupe effectué dans le cadre du programme 2018 du Dialogue d’avenir franco-allemand. Afin de mieux comprendre les raisons expliquant la perte de confiance croissante des citoyens européens dans la politique, les participant.e.s de la promotion 2018 ont réalisé des projets de groupes binationaux. Par ce biais, ils ont rencontré et discuté de la démocratie et de l’Europe avec divers acteurs de la société civile.